Elle est le visage phare du 20h30, JT en prime time de la télévision nationale. Elle a tourné le dos à la France, pour river les yeux sur les caméras de la Crtv, en posture de présentatrice de rêve. Renommée acquise aussi par son style vestimentaire…

KM: Parlez-nous de vos débuts dans ce métier qui hier, encore, semblait réservé aux hommes…

AM: Il faudrait d’abord noter que, le métier se féminise depuis au moins deux bonnes décennies. Si vous allez aujourd’hui à l’Ecole Supérieure des Sciences et Techniques de l’Information et de Communication (ESSTIC), vous trouverez les femmes en majorité. Aujourd’hui, ce n’est plus quelque chose d’extraordinaire, de voir une femme qui fait du journalisme. Parlant de mes débuts, je finis mes études à l’Ecole de Journalisme de Lille en France, au début des années 90.

KM: À ce moment-là, quel est le regard de la famille et des proches sur ce métier que vous avez embrassé?

AM: Dans ma famille, j’ai déjà un grand frère journaliste, Jean-Paul Nanga Abanda qui est considéré un peu comme une tête brulée et tout le monde se dit, qu’est-ce qu’elle va chercher dans cette galère ! Le journalisme est un peu considéré comme un métier de troubadours et pourtant, c’est une passion chez moi. Dans ma famille, il y a eu au début beaucoup de réticence. On aurait aimé que je sois par exemple, secrétaire. Mais, j’avais en horreur l’idée de ce métier de routine. Je rêvais de quelque chose qui serait nouveau chaque jour.

« J’ai eu beaucoup de propositions me suggérant de rester en France »

Par la suite, je vais passer quelques mois, à France 3 Nord-Pas- de- calais, question de me faire la main. Les dirigeants de cette chaine, voulaient que je reste, mais je tenais à rentrer dans mon pays. Par ailleurs, j’ai passé deux années à faire des études de Relations Internationales à Saint- Germain- des- Prés à Paris. J’ai eu la chance entre mes deux années d’études à l’école de journalisme de Lille, de revenir au Cameroun pour un stage à la CTV à l’époque. Je trouve la télévision à ses tout débuts, dans les baraquements (comme on appelait ces bâtiments provisoires, derrière la maison de la radio à Nlongkak). Je trouve là, Charles Ndongo (actuel Directeur général de la Crtv), Éric Chindje, Denise Epoté et jesens une émulation qui me happe littéralement pendant le stage. Je vais repartir avec la ferme intention de revenir chez moi, pour participer à l’essor de la télévision, qui faisait ses premiers pas. Je les trouve avec Dieudonné TinéPigui, qui est à ce moment-là, au sommet et je me dis, je dois revenir également apporter ma pierre et ma touche, à ce qui commence à se mettre en place au Cameroun. Je décline l’offre de France 3 Nord-Pas-de-Calais et je reviens avec beaucoup d’enthousiasme. Mais, ça va prendre quelque temps avant que je ne sois acceptée à la Crtv. C’est d’ailleurs le Professeur Gervais MENDO ZE, qui était Directeur Général en ce moment-là. Quand je rentre au Cameroun, il semble un peu réticent puis, je vais attendre jusqu’au moment où il va me signer un certificat de travail. Je me rappelle toujours que je suis sur cette note de service avec une certaine Julienne AVOMO (aujourd’hui Julienne Mvogo) et nous sommes à peu près les deux dames, dans cette note de recrutement. Ça fait donc 33 ans, que je roule ma bosse dans cette maison. Elle m’habite littéralement. J’ai aimé faire ce métier d’abord comme reporter à la rédaction TV, après comme chef de service des nouvelles étrangères. Au début, j’ai présenté une émission de divertissement qui existe toujours à l’antenne, Tam-Tam Week-end. J’ai présenté Actualités Hebdoà la fin des années 90. Au Cameroun, ce sont les années dites de braise, avec la renaissance du multipartisme. Je crois que ce sont de très belles années pour moi.

« Je rêvais de quelque chose qui serait nouveau chaque jour »

KM:Parlez-nous de votre premier contact avec la camera ?

Je crois que tout de suite, une histoire d’amour est née entre l’œil de la camera et moi, pour ne plus s’achever jusqu’à cet âge avancé.

KM:Comment vivez-vous ces mutations observées dans l’univers des médias ces dernières années, notamment, la multitude de chaines TV et les avancées technologiques enregistrées avec la web TV, les journaux en ligne?

AM: Il faut s’accrocher, apprendre et même comprendre ces évolutions. Ça va tellement vite aujourd’hui. Les nouvelles technologies de l’information et de la communication ont totalement révolutionné le monde de l’audiovisuel et donc, il faut s’adapter et les appréhender avec un côté intellectuel allumé.

KM:Qu’est-ce qui selon vous, a pu vous démarquer des autres femmes ?

AM: Je crois que c’est une affaire de choix personnel, celui de rester constante dans une maison comme la Crtv. D’autres sont allées voir ailleurs et sont brillantes sous ces horizons-là. Il y a aussi une passion pour ce métier et pour la télévision surtout. J’aurais fait beaucoup de radio par ailleurs, les journaux avec mon frère, ami et collègue François Marc Modzom. Nous avons fait le 20h en duo, le 13h et Dimanche Midi, avec lui, et un certain nombre de collègues de la radio. Quand on aime quelque chose, c’est déjà à peu près 50% de succès. Pour les autres, je ne sais pas. J’aime ce que je fais et je suis une passionnée de naissance.

KM:L’antenne est un moment de stress pour tout présentateur. Comment parvenez-vous depuis toutes ces longues années, à dompter votre sujet et tirer ainsi votre épingle du jeu ?

AM: Je crois que, si le stress te quitte, tu es quelque part fade. Tu meurs et tu n’intéresses plus vraiment. Il faut toujours cette sorte de piqûre de rappel, pour vous faire comprendre que vous parlez à des gens et que vous devez les respecter. Si je peux avoir cette tonalité, essayer toujours de capter l’attention, de celui qui je crois me regarde, c’est le stress qui me donne cela. Mais il ne faudrait pas qu’il domine. Il devient à ce moment-là, le trac. Ce n’est pas du tout productif. À chaque fois que la camera s’allumera, il y aura toujours de l’adrénaline qui monte et je crois que j’en ai besoin pour rester opérationnelle.

« Je crois que si le stress te quitte tu es quelque part fade, tu meurs, tu n’intéresses plus vraiment »

KM:Quelle information mémorable avez-vous eu la lourde responsabilité d’annoncer à vos millions de téléspectateurs ?

AM: Il y en a eu tellement. Mais, il me vient à l’idée, la dévaluation du franc CFA. Nous sommes en 1994. C’est le ministre des Finances d’alors, Antoine Tsimi qui est parti pour ce sommet en Afrique de l’ouest, et c’est de là-bas qu’on apprend la nouvelle. On ne savait même pas à quoi ça renvoyait et quelles en étaient les conséquences. J’étais présentatrice d’Actualités Hebdo et c’est dans ce magazine qu’on va annoncer la dévaluation du franc CFA. Même s’il s’agissait d’un magazine, c’était l’information phare de la journée. Il fallait en parler immédiatement.

Je me rappelle que l’envoyé spécial était le ministre Joseph LE. Il me vient à l’esprit cette phrase qu’il a prononcée : « l’histoire retiendra que c’est ici au Sénégal, que se décide la dévaluation du franc CFA ». 

Ces premiers mots de Joseph LE restent à jamais gravés dans ma mémoire.