UNE VOIX ETERNELLE

Après plus de 30 ans de carrière solo, ses cordes vocalesn’ ont pris aucune ride. C’est une sorte de voix éternelle qui ressuscite à chaque saison. Artiste multi-instrumentiste, il a pour modèle Miriam Makeba. L’auteur du titre à succès I Believe in You » parle de Manu Dibangocomme d’un sphinx, un guide, qui aura inspiré toute une génération d’artistes africains. Dans cet entretien exclusif, le Congolais pose quelques notes de sa vie.

KM: Vousêtes né en 1958 au Congo belge, actuelle République Démocratique du Congo. Vousavez fait les plus grandesscènes du monde, et réalisé de nombreuses collaborations prestigieuses. Comment l’artiste Lokua Kanza se définit-il aujourd’hui

LK: Ce n’est pas évident de parler de soi-même. Quand on se regarde, on se dit que l’onn’estpas encore accompli. Je dirais que je suis un artiste qui a encore envie d’apprendre, de progresser et surtout, de léguer quelque chose à la génération qui viendra après.

KM: Peut-on dire que vous vous dirigez vers la porte de sortie

LK: C’est très important de pouvoir laisser la place, mais d’une très bonne manière. C’est-à-dire, laisser un arbre sur lequel la jeune génération viendra s’asseoir pour apprendre, se divertir et aussi prendre du plaisir.

KM: Ces derniers temps, on vous voit avec un groupe de jeunes artistes dans les rues de Kinshasa. Est-ce le début de cette transmission à la génération suivante

LK: Effectivement. J’aimonté un orchestre à Kinshasa. Ça fait 3 ans qu’on bosse ensemble. J’annonce, en exclusivité, que c’est avec ce groupe que je vais tourner à travers le monde.

KM: Avec la nouvelle génération, c’estpratiquement un titre chaque jour. Les compositions se font à la va-vite, les chansons sont jouées grâce aux supports numériques. Ce n’est plus du live en studio comme à votre époque. Quel regard portez-vous sur ce style musical actuellement à la mode en Afrique

LK: On oublie souvent que la musique est un art, et chaque œuvre artistique requiert beaucoup d’exigences et de travail. Or, nous sommes à une époque où l’onconfond le succès rapide à l’art. On est prêt à tout pour gagner de l’argent, mais on oublie qu’un artiste, avant de prendre un certainen vol, a besoin au minimum de 10 à 15 ans de travail. Après cette étape, la personne peut prétendre être un artiste. Je prends l’exemple de Manu Dibango, de regrettée mémoire. C’était notre sphinx, notre guide. Même à son âgeavancé, Manu continuait à travailler des heures et des heures. Il a passé tout son temps à travailler. Or, aujourd’hui, beaucoup de jeunes gens ne le font plus.

Toute ma vie, je me battrai pour que ces gens qui ont du talent puissentaller de l’avant. »

KM: Vous avez justement parlé de Manu Dibango. Son pays, le Cameroun, représente quelque chose de précieux pour vous. Qu’est-ce qui explique cet attachement à la musique camerounaise et à ses musiciens

LK : Mon histoire avec le Cameroun remonte à très longtemps avec Eboa Lotin. Quandj’étais enfant, j’interprétaisses chansons. Par la suite, c’était tonton Manu Dibango dont je reste un fan à vie. J’ai eu l’honneur d’être l’un de seschoristes. Manu Dibango était un homme assez exigent. Il a su porter notre continent très loin. J’aimerais que les jeunes générations puissen técouterses œuvres. C’est comme un bouquin. C’est notre Mozart, notre Beethoven.

Il y a également eu Bébé Manga, Richard Bona, Charlotte Dipanda. Je suis un fan du Cameroun. Je pense que c’est un pays qui donne beaucoup à l’Afrique, par savivacité et samusicalité. J’ai un rapport fusionnel avec le Cameroun. Dans mon album Moko », je chanteen langue Douala (une langue vernaculaire du Cameroun, Ndlr).

« Manu Dibango … étaitnotre Mozart, notre Beethoven. »

KM: Pour votre dernier album Moko » cité plus haut, vous avez pris 8 ans avant de le faire sortir. Pourquoi cela a mis aussi long

LK: C’est parce que dans ma tête je voulais faire une grande œuvre. Je voulais faire quelque chose qui varester des années durant. J’ai réuni les plus grands musiciens. Richard Bona, Paco, Sidiki Diabaté et son père, les meilleurs arrangeurs des États-Unis. J’ai mobilisé près de 100 artistes. Il y a aussi les voyages qui prennent du temps. Le Covid-19 nous a retardés de deux ans.

KM: La particularité de l’album Moko » est que vous avez travaillé avec votre fils. Comment s’est passée cette collaboration familiale

LK: Ce n’était pas évident, mais ça a été un moment magique avec mon fils, parce que quand on a pris la vitesse de croisière et qu’on a commencé à se comprendre, tout s’est bien passé. Mon filsest un excellent ingénieur de son. Il m’a beaucoup apporté.

KM: Vousêtes un artiste multi-instrumentiste. Quel est l’instrument qui vous passionne le plus

LK: Je les aimetous. Mais je compose plus avec le piano et la guitare. Chaque instrument est un monde à part.

KM: Que pensez-vous du Play back Pourrait-on vous voir jouer dans ce style

LK: Un concert entier, je ne peux pas le faire en Play back. Une chanson encore oui, c’est possible, si bien sûr toutes les conditions techniques sontréunies.

KM: Vousavez fait de nombreuses collaborations avec des vedettes de la musique. Laquelle vous aura le plus marqué

LK: Elles sont toutes différentes et très enrichissantes. Si j’avance un nom, çapourrait faire des jaloux. La seule, et celle-là n’était pas une collaboration mais une fascination, une sorte de retour aux sources. Je m’explique. Quand j’avais 13 ans, j’étais au stade du 20 mai de Kinshasa. J’ai eu la chance et l’honneur de voirune femme qui chantait et qui m’aren du fou. Elle s’appelait Miriam Makeba. Lorsqu’elle a chanté, je me suisdit, je veux être comme cette dame. En général, les hommes ont pour modèle d’autres hommes comme eux. Mais moi, mon modèlec’est une femme. Le jour oùj’ai eu la chance d’être en studio avec Miriam Makeba, chantant mes “pauvres” chansons ce jour-là, j’ai pleuré comme un enfant. C’est un moment que je n’oublierai jamais dans ma vie.

A l’âge de 13 ans… j’aieu la chance et l’honneur de voirune femme qui chantait et qui m’aren du fou. Elle s’appelait Miriam Makeba. »

KM: On vous a vu dans la célèbre émission

The Voice Afrique Francophone », avec de nombreux jeunes artistes en herbe. Pensez-vousqu’il y a de l’espoiren Afrique

Que l’avenir est assuré, musicalementparlant

LK: Sincèrement, lorsqu’on m’a proposé The Voice » pour la première fois, j’ai refusé, parce que tout ce qui est bling bling, cen’est pas mon truc. A maintes reprises, mon manager a dû insister. Elle me disait que je devais faire The Voice ». Après avoir décliné l’offre, elle est revenue à la charge et m’adit : Tu sais, tu as toujours rêvé d’aider les jeunes, et voilà une occasion pour le faire ». Là tout de suite, j’ai accepté parcequ’elle venait de toucher la corde sensible. J’y suis allé, et cefut la plus belle expérience musicale de toute ma vie. Ça m’a fait plaisir de voir comment ce continent est bourré de talents. Toute ma vie, je me battrai pour que ces gens qui ont du talent, puis sentaller de l’avant. Les émissions comme The Voice », il faut les encourager.

« Nous sommes à une époque où l’on confound le success rapide à l’art. »

AN ETERNAL VOICE

KM: You were born in 1958 in Belgian Congo, now the Democratic Republic of Congo. You have played on the biggest stages in the world, and made many prestigious collaborations. How does the artist LokuaKanza define himself today

LK: It is not easy to talk about one’s self. When we look at each other, we tell ourselves that we are not yet accomplished. I would say that I am an artist who still wants to learn, to progress and above all, to leave something to the generation that will come after.

KM: Can we say it’s the last curtain call in your illustrious career

LK: It’s very important to exit while leaving something tangible and authentic. In other words, a foundation on which the younger generation can learn while having fun in the process.

KM: Recently, you have been seen with a group of young artists in the streets of Kinshasa. Is this a musical transition to the next generation

LK: Indeed. I started an orchestra in Kinshasa. We’ve been working together for 3 years. I announced exclusively that I will be touring the world with this group.

KM: The new generation of artists come up with new songs faster unlike your generation. Compositions are done in a hurry, thanks to digital media. It is practically impossible to see an orchestra playing live in a recording session. What is your opinion on this musical trend in the African music landscape

LK: We often forget that music is an art, and each artistic work is very demanding and requires time. However, we are in an era where we confuse rapid success with art. Artists are in a haste to earn money and fame yet forget that an artist, needs at least 10 to 15 years of work to be labeled an artist. For example, the great Manu Dibango of blessed memory was our sphinx and our guide. At his advanced age, Manu continued to work hours non-stop. He spent all his time working. However, today, many young artists do not possess the same work ethics.

“I fought my entire life so these young and talented musicians can forge ahead ”.

KM : You mentioned Manu Dibango. It seems his country, Cameroon, represents something precious to you. What explains this attachment to Cameroonian music and its musicians

LK: My history with Cameroon dates back with artists like EboaLotin. When I was a child, I interpreted his songs. Afterwards, it was Uncle Manu Dibango, of whom I remain a lifelong fan. I had the honor of being one of his choristers. Manu Dibango was quite a demanding person. He shed light on our continent through his musical artistry. I would like the younger generation to listen to his works. It’s like a book. He is our Mozart, our Beethoven.There was also Bébé Manga, Richard Bona, Charlotte Dipanda. I am a fan of Cameroon. I think it’s a country that gives a lot to Africa, through its liveliness and musicality. I have a close relationship with Cameroon. In my album “Moko”, I sing in the Douala language (A vernacular language of Cameroon, Editor’s note).

“ Manu Dibango … was our Mozart, our Beethoven ” .

KM: Your last album “Moko” took 8 years to be released. Why did it take so long

LK: It is because I wanted to do a great job. I wanted a product that will last for years. I assembled some great musicians; Richard Bona, Paco, Sidiki Diabaté and his father, the best arrangers in the United States. I mobilized about 100 artists. Traveling around the world to work with these artists also took time. In addition, Covid-19 delayed our progress by two years.

KM: The album “Moko” is particularly intriguing because you worked on it with your son. Tell us about this collaboration and experience

LK: It wasn’t easy at first, but it was a magical moment working with my son. Once we understood each other, we were cruising from there forward and the collaboration went well. My son is an excellent sound engineer. He brought a lot of ingenuity to the project.

KM: You play several instruments. What instrument are you most passionate about

LK: I love them all. But I compose more with the piano and the guitar. “Each instrument is unique and different”.

KM : What do you think of Playback? Could we see you playing in this style

LK: I cannot perform an entire concert with play back. I might be able to perform a song using playback with the right technical elements.

KM: You have done many collaborations with music stars. Which artist left an indelible impact

LK: They are all different and very enriching. If I give a name, others could feel slighted. However, I have a name that is unique and captivating. When I was 13, I was at the 20th May stadium in Kinshasa. I had the honor to see a woman sing in a manner that drove me crazy. Her name was Miriam Makeba. When she sang, I told myself, I want to be like this lady. In general, men look up to other men like themselves. However, my role model was this woman. The day I had the chance to be in the same studio with Miriam Makeba, singing my “poor” songs, I cried like a child. It is a moment in my life I will never forget.

“At age 13… I had the honor to see a woman sing in a manner that drove me crazy. Her name was Miriam Makeba ” .

KM: We saw you on the television show “The Voice Afrique Francophone”, with many young artists. What is your opinion on the sustenance and longevity of African music

LK: Honestly, when I was offered “The Voice” for the first time, I refused, because I am not a fan of all the “bling bling”. Time and time again, my manager had to insist. She told me that I had to do “The Voice”. After declining the offer, she came back to me and said, “You know, you’ve always dreamed of helping young people, and here’s an opportunity to do it.” There right away, I accepted because she had just struck a nerve. I went there, and it was the best musical experience of my life. It made me happy to see how this continent is full of talent. I fought my entire life so these young and talented musicians can forge forward. Programs like “The Voice” should be encouraged. The future of African music is very bright.

“We are in an era where we confuse rapid success with art”.